vendredi 26 août 2011

ABUELO WACHUMA


    Toute la semaine dernière je recevais un patient venu me voir depuis le Chili pour un partage autour du San Pedro ou Wachuma. Mon visiteur n'était pas nouveau sur ce sujet puisqu'il venait de faire deux sessions de wachuma au Chili. Cette nouvelle expérience a été extraordinaire pour nous deux et c'est pourquoi je me décide à parler un peu ici, enfin, de l'usage chamanique du San Pedro.

    Comme toutes les plantes maîtresses dont le principe actif est la mescaline - le peyotl par exemple - la Wachuma est une plante fortement plexuelle. Elle peut vous arracher le cœur et le sacrifier dans un bain de sang ou le dilater jusqu'à tout faire trembler. Il est certain que c'est par le plexus que la wachuma se fait entendre des hommes. Le cœur devient comme un tambour dont les vibrations se propagent jusque dans les visions qui en émanent. C'est un peu comme si vous étiez sous l'eau et que vous observiez les ondes circulaires que les battements de votre cœur provoquent en surface, vos visions. Plus douce encore dans le ravissement que celle du peyotl, l'expérience d'enveloppement cardiaque communiquée par la wachuma lorsqu'elle se montre bienveillante est d'autant plus étonnante que cette plante maîtresse a toujours été représentée par des déités masculines guerrières, courroucées et menaçantes. C'est le cas par exemple de la déité mochica Aiapaec, plus connue sous le nom de Décapiteur. On conduisait autrefois ses humaines victimes à la mort en leur faisant boire la wachuma. Le dieu de la culture Chavin représenté par un monolithe énorme en forme de couteau ou de fer de lance géant, pourvu d'une féroce gueule de jaguar, de griffes menaçantes et d'une crinière de terrifiants serpents est aussi un dieu courroucé dont le culte est lié à la wachuma. Cela laisse augurer de ce que peut être un “mauvais voyage” en sa compagnie. La tradition assure cependant qu'avec un 'bon maestro' il n'y a jamais que des 'bons voyages', ce qui est pure vérité puisqu'au plan initiatique, il n'est pas bon du tout d'éviter ses ombres. Abuelo wachuma, grand-père wachuma aime les guerriers courageux ; il sait qu'ils ont du cœur et qu'ils se donnent entièrement à l'expérience.

Peinture murale : Aiapaec, divinité mochica connue sous le nom de Décapiteur. Mais son nom mochik signifie le Faiseur.

    Jusqu'à présent, j'ai peu traité du volet enthéogène de ma vie bolivienne. C'est délicat de trouver le bon ton. J'ai vaguement évoqué ma rencontre singulière avec Camilo, un indien wachumero du nord de l'Argentine que je n'ai plus revu depuis 2008, même en rêve. J'ai aussi raconté les tentatives de José pour se faire initier au Wachuma. Et lors de son séjour de quatre mois ici, Morgan a plusieurs fois pris de la boisson sacrée avec moi, bien que ces expériences se soient avérées en-dessous de ce que nous avions connu séparément l'un et l'autre. C'est principalement dû au type de cactus sélectionné pour ce faire. Faute de pouvoir en trouver d'autres, nous avions utilisé des cactus communs en Bolivie, à 6 et 7 cotés, réputés les plus forts. Les wachumeros les choisissent le plus souvent pour leurs patients nationaux, ou pour les trips touristiques, principalement parce qu'ils présentent moins de risque. Ces cactus très efficaces pour des séances collectives de guérison, n'ont pourtant pas la force ni l'orientation voulue quand il s'agit d'enquête chamanique proprement dite. Du coup, pour ceux qui ont déjà une expérience approfondie de l'Ayahuasca ou du Peyotl, les essais réalisés avec le San Pedro à 6 et 7 cotés sont plutôt décevants, ce qui explique les légendes urbaines concernant ce cactus : on raconte parmi certains ayahuasqueros qu'il serait moins puissant que la déesse, mais c'est faux.
    L'usage rituélique le plus courant du San Pedro au Pérou est comparable à un combat du bien contre le mal, ou alors à une séance d'exorcisme menée dans un cadre où interviennent de nombreux symboles catholiques et païens. C'est notamment le cas près de Chiclayo, où le rite s'est christianisé pour survivre à la période coloniale et à la république. On note toutefois que de nombreux gestes symboliques survivent aux temps archaïques et ont plusieurs millénaires. On trouve aussi des variantes de cette rencontre des ombres dans la région des Huaringuas, sans que ce trait fondamental syncrétique soit écarté complètement. S'ajoute simplement au rituel un bain purificateur dans les eaux glaciales des lacs sacrés.

    Le point commun à tous ces rites, c'est qu'en raison du caractère photophobique de la mescaline, on prend toujours la wachuma dans l'obscurité ou avec un éclairage naturel le plus faible possible. Quelques bougies, le feu de camp ou la lumière de la Lune suffisent à mettre en scène d'éclatantes visions et des couleurs jamais perçues, correspondant à des états non moins intenses. C'est de cette façon que sont utilisés les cactus à 6 et 7 cotés, le six représentant un cactus femelle et le sept un cactus mâle, dit-on. Le courant néochamanique panandin mélant New Age et San Pedro adopte également cet usage des cactus à 6 et 7 cotés. Des occultistes occidentaux voyagent jusqu'ici aussi et mélangent de l'or potable à la wachuma, espérant développer le corps de gloire et contrarier le plan d'invasion des Annunaki... drôle d'hallucination. Parfois les deux types de cactus sont mélangés, formant un couple. Le plus souvent on utilise uniquement le cactus à 7 cotés. Il n'est pas vrai que ces cactus contiennent plus de mescaline et soient mieux orientés que les autres. Au contraire, les cactus dépassant ou n'atteignant pas cette moyenne, souvent réservés aux prêtres et aux seigneurs, étaient autrefois les plus chargés de valeur religieuse et enthéogène, ainsi que le confirme toute l'iconographie ancienne à ce sujet.

Femme chamane mochica tenant dans sa main gauche le cactus des quatre vents.

    Que ce soit en-dessous, avec le cactus visionnaire à cinq cotés ou avec le roi des rois, le cactus des quatre vents qui consacre les chamanes, mais aussi au-dessus, de 8 à onze cotés et plus, chaque type de cactus révèle des propriétés particulières et des niveaux de force différents, se référant à des usages définis. On sait par exemple que le cactus des quatre vents est très chargé en télépathine. Le cactus à cinq cotés favorisera quant à lui la vision des structures, celles du temps, de la matière, de la lumière, de l'espace, de l'origine ; mais il provoquera aussi des visions de félins associés aux serpents, formes exceptionnellement colorées qu'abuelo Wachuma aime prendre lorsqu'il nous détache du corps et provoque l'envol. Pour entrer par la grande porte, c'est décisivement ce San Pedro à cinq cotés parmi les plus rares en Bolivie, que je conseille prioritairement non pas à tous, mais aux psychonautes qui connaissent déjà bien l'amère saveur de la plante et ont expérimenté sans trop de conviction les cactus à 6 et 7 cotés qui suffiraient à beaucoup.

    Reste que le choix du cactus est sujet aux aléas de la rareté. On peut y voir la décision d'abuelo Wachuma lui-même, qui ne dévoile que ce qu'il veut, à qui il veut. Il est certain que l'expérimentateur sauvage élevant chez lui son cactus n'aura guère à faire ces choix cornéliens. Cependant qu'il se rassure, même à 6 ou 7 cotés, le cactus élevé chez soi a une très bonne réputation. On dit que le San Pedro a une mémoire extraordinaire et qu'il s'imprègne de tout, raison pour laquelle il peut encore nous faire voir les cultures où on le considéra comme sacré, voyageant au temps passé dans la profondeur du présent. Le cactus élevé chez soi entend tout et voit tout. Il se sent tellement chez lui qu'il protège la maison des voleurs, dit-on. Il est donc particulièrement à même d'aider celui qui s'occupe de l'arroser et de le nourrir. Sa place traditionnelle est devant l'entrée, le lieu séparant le dehors du dedans. S'il vous plait, ne mangez pas votre cactus immédiatement après l'avoir coupé. Au contraire, laissez-le bien reposer dans l'obscurité et dans un endroit sec pendant deux mois avant de le consommer, il se chargera ainsi davantage en mescaline et sera beaucoup plus fort.

    Cette semaine, nous avons eu beaucoup de chance quant aux cactus que nous avons trouvés : non seulement des plantes à neuf et huit cotés, mais aussi trois beaux cactus à cinq cotés, de la taille de l'avant-bras (la dose pour une personne), dont les effets sont vraiment d'une profondeur inouïe et n'ont rien à envier à ceux de Mère Ayahuasca.

    Le nombre de cotés du cactus est le facteur déterminant quant à la qualité de la mescaline et des alcaloïdes qu'il contient. Ensuite seulement apparaissent des facteurs tels que le wachumal ou jardin où le cactus a grandi, son ensoleillement, le sexe de sa terre, le temps pendant lequel le cactus, une fois coupé, a reposé dans l'ombre pour se charger encore plus en substances actives. Quand on l'achète au marché des sorcières (nous sommes effectivement dans un pays qui interdit la marijuana mais laisse en vente libre le San Pedro et l'Ayahuasca) plus le cactus choisi est sec et vert foncé, plus il est chargé en mescaline. Il est inutile d'acheter de la poudre de cactus San Pedro car cette préparation n'a quasiment pas d'effet enthéogène. Contrairement à l'Ayahuasca dont le dosage est simple à calculer, le San Pedro est connu pour son dosage aléatoire, ce qui réclame de la part du chamane une grande connaissance, ainsi qu'une très bonne intuition quant au choix de ses plantes et l'estimation de leur effet sur les patients. Selon les objectifs poursuivis, c'est toujours le nombre de cotés qui constitue l'élément déterminant. J'ai d'ailleurs le sentiment que c'est aussi le nombre de cotés du cactus qui en quelques sortes, communique et fait émerger la carte psychonautique propre à la Wachuma.

Chavin de Huantar : chamane à tête de jaguar et à chevelure de serpents tenant dans la main droite un cactus de huit cotés.

    Bien que le père jésuite Bernabé Cobo ait réalisé la première description de l'usage du San Pedro dès le début du XVIIème siècle dans son Histoire du Nouveau Monde, la connaissance de la Wachuma par les milieux occidentaux est encore très sommaire. On trouve sur internet beaucoup d'informations erronées. On dit par exemple que Wachuma est synonyme de Gigantón. Or, le Gigantón est une variété de cactus trop peu chargée en mescaline pour qu'en soit fait un usage chamanique satisfaisant. Il ressemble en tous points au San Pedro, sauf qu'il est sans épines. Il existe également d'autres cactus qui ressemblent tellement au San Pedro qu'on les confond, hors période de floraison. C'est par exemple le cas de ce cactus dont la fleur est rouge au lieu d'être blanche et qui est lui aussi peu chargé en mescaline. Hors période de floraison, on ne distingue ce cactus du vrai San Pedro que par le duvet qui lui pousse, en plus de ses épines. Une autre légende urbaine concerne la différence entre le Trichocereus peruvianus ou torche péruvienne et le Trichocereus Pachanoi ou San Pedro proprement dit. Le premier dit-on, serait dix fois plus chargé en mescaline que le second. Des études faites à ce propos montrent que c'est faux. Je n'ai pour ma part constaté aucune variation à l'usage entre ces soi-disant espèces qui se différencient seulement par la taille de leurs épines. Comme je l'ai fait remarquer, le principal critère que j'utilise est celui du nombre de cotés, qui me semble beaucoup plus important. Je n'ai par exemple jamais vu de cactus à cinq cotés dont la charge en mescaline fût insuffisante.

    Depuis des millénaires, les indigènes ont développé un savoir inégalé en matière d'enthéogènes. Ils savent même comment provoquer des effets psychoactifs à l'aide des plantes les plus anodines, une connaissance bien utile aux chamanes vivant dans des pays où les enthéogènes sont interdits. Ainsi, on peut observer sur cette tête pétrifiée de la culture Chavin les effets provoqués par ces opérations astucieuses. Souvent citée comme une preuve de l'usage de la mescaline à Chavin, cette tête représente en réalité autre chose, puisque le San Pedro ne provoque pas en lui-même d'écoulements par les narines. En revanche, la prise de San Pedro est souvent complétée de petites opérations dont cette tête témoigne. On mélange des feuilles de tabac avec de la cendre végétale d'eucalyptus selon des proportions précises et on réduit le tout en poudre qu'on projette avec force dans les narines à travers un long tube de bois. Le résultat est qu'on a les yeux exorbités, les pupilles très dilatées et les narines qui coulent continuellement. Ce procédé est traditionnellement utilisé pour raffraichir l'ensemble du champ aural, notamment la partie supérieure et arrière de la tête, provoquant une ouverture et des changements lucidogènes. Proposé lors de la cure de San Pedro, il redonne un coup de fouet à l'hallucinogène principal ou lui dit au revoir. De nos jours les wachumeros se contentent souvent de respirer seulement un peu de ce mélange ou un autre, avant, pendant et après la cérémonie. On peut aussi remplacer cette préparation par le pajte rouge dont j'ai déjà parlé, ou l'enrichir par exemple avec des graines pilées de Brugmasia et d'autres substances actives.

    Parmi les éléments les plus utiles à la prise de la wachuma hors de son contexte traditionnel, je conseille d'avoir toujours près de soi des plantes et des parfums raffraichissants comme les feuilles de menthe, l'eau de Cologne ou l'agua florida, mélange d'alcool et de parfum de rose. Ou même des huiles essentielles. L'absorption de la wachuma provoque des malaises physiques et psychologiques que le chamane doit savoir soulager. On considère qu'il est généralement bon de vomir lors d'une session, ce fait étant le plus souvent félicité et encouragé par le chamane qui y voit l'expulsion et la purge d'un mal. Cependant, il est préférable de garder en soi la wachuma pendant au moins une heure et demi avant de la rendre, d'où l'utilité des adjuvants que je propose et qui permettent de relâcher les tensions. De l'eau de cologne en abondance sur les mains, le visage et les cheveux, au bon moment a pour effet de tranquiliser durablement le patient. Dans le cas d'un 'mauvais voyage', ce procédé associé au chant est parmi les plus utilisés pour ramener illico le patient vers des terres plus auspicieuses, en toute tranquilité. L'attitude même du chamane est un antidote au 'mauvais voyage', mais pour cela le patient doit être mis en confiance et communiquer. Autrement dit, il faut se donner le temps de la rencontre.

Chavin de Huantar : le monolithe dit "El Lanzón"

    Je serai heureux si des éléments de mon récit devaient permettre aux expérimentateurs sauvages de mieux gérer leurs expériences avec le San Pedro. On dirait des petits trucs anodins, mais je suis certain que ceux qui en feront usage découvriront à quel point ils sont pragmatiques. Bien entendu, je n'encourage personne à prendre seul cette plante maîtresse. C'est une bombe atomique. Mais puisque de telles expériences ont lieu de toutes façons, autant donner les conseils appropriés pour éviter les dégâts toujours possibles en l'absence d'un maestro. Quand il ne s'agit pas de rituels de guérison collectifs ou d'initiation chamanique proprement dite, le rôle du maestro est d'ailleurs plutôt passif. Il accompagne discrètement le voyage en nous laissant l'initiative. Le patient est censé accomplir lui-même sa guérison, de sorte que le chamane n'est là que pour veiller au bon déroulement des opérations et l'assister par tous les petits trucs qu'il connaît et le secours des rituels et objets magiques. Dans des circonstances plus initiatiques disons, le chamane devient actif et montre à l'apprenti les zones de conscience qui travaillent. La prise de la wachuma donne l'intuition d'un énorme potentiel dont on ne sait quoi faire. On devine qu'il doit être possible de jouer avec le temps et l'espace. On pressent des tas de manipulations possibles. On ajoute d'autres ingrédients. C'est le rôle du chamane de nous montrer ce potentiel et comment emprunter les pistes qui ne laissent pas de traces.

    Bien entendu, et bien que la plante ait tendance à nous ramener vers nos propres terres et ancêtres, on ne saurait faire l'économie du substrat mythologique où la plante a grandi, ceci afin de mieux comprendre les éléments exotiques se présentant dans les visions ou l'origine parfois très lointaine des gestes chamaniques. Non seulement on peut s'intéresser aux rites actuels, mais on peut tenter également d'en retrouver la trace dans les périodes antérieures, récupérant ainsi beaucoup de ce qui s'est perdu.

    Les premières preuves de l'utilisation rituelle de la mescaline remontent à 8500 ans en Amérique du Nord ; les aborigènes du nord-est du Mexique utilisaient une légumineuse (Sophora segundiflora) et le cactus peyotl pour en extraire la mescaline utile aux rituels magico-religieux. Des analyses au radiocarbone de restes de peyotl trouvés dans la grotte de Shumla (Rio Grande) ont permis de dater ces activités chamaniques de 5700 ans. On pense qu'au Pérou, les premières cultures ayant expérimenté le cactus San Pedro remontent à la période pré-céramique, environ 3000 ans avant J-C. A l'intérieur des terres où pousse le cactus, l'histoire est moins connue, mais on sait qu'il faisait partie de l'arsenal enthéogène très complet de la culture Tiwanaku et qu'il était répandu dans certaines communautés. Sur le littoral péruvien, on a trouvé des représentations du cactus sur des restes de céramiques, des stèles et d'autres éléments iconographiques. Mais le cactus grandit toutefois loin des côtes, a des hauteurs dépassant les 2000 mètres d'altitude et situées à 80 ou 100 km de l'océan. L'habitude de le sécher pour renforcer son pouvoir viendrait de cette distance entre le lieu où il pousse, le wachumal et celui où il est consommé massivement : les centres cérémoniels urbains de la côte pacifique. Les cultures Cupisnique et Chavin datant de la période formative abondent en indices de son usage sacré. Les représentations les plus anciennes sont celles de la culture Cupisnique (1500 ans avant JC) dans la vallée du Jequetepeque où ont été découvertes plus de 30 céramiques portant des images de félidés, des volutes échelonnées et des cactus San Pedro. Apparaît aussi la figure du boa ou 'macanche' (Boa constrictor ortonii), parfois emplumé ou en compagnie de pumas (Felis concolor) ou de jaguars (Felis onca). Au centre cérémoniel de Chavin de Huántar (1000-500 av. JC.) au nord du Pérou, la place du vieux temple est un espace sacré de 21 mètres de diamètre dont le mur occidental est recouvert de deux séries de pierres gravées, l'une au dessus de l'autre. Les pierres inférieures montrent des images réalistes de félins, tandis qu'on observe sur les pierres supérieures une série de figures anthropomorphiques, des personnages organisés en une procession où apparaissent des musiciens jouant du pututu (gros coquillage de mer) divers danseurs et un chamane portant une branche de cactus San Pedro, laquelle a entre huit et dix cotés. Calqué sur la figure du dieu représenté par le monolithe "el lanzón", l'aspect félin de ce chamane à la chevelure de serpents suggère un type de transformation au cours du voyage chamanique que procure la mescaline. Le même type de sémiotique existe à Tiwanaku, avec des statues portant leur tête sur les genoux et remplacée par celle d'un puma. Il faut dire qu'en fins observateurs, les indigènes ont lié le puma au plexus et au monde d'ici, se rendant compte qu'en absobant de la mescaline, ils héritaient des sens de ce félin comme la vision nocturne, celle des contours énergétiques et des structures psychographiques, une très grande finesse de l'ouïe, une sensibilité plexuelle et tactile exacerbées... C'est pourquoi les hommes aux traits de félin abondent à Chavin, suggérant cette transformation chamanique produite par la mescaline. Une tête pétrifiée de Chavin montre un cactus San Pedro en train de croître derrière l'un de ses yeux, symbolisant l'effet catalysant du cactus lors des visions chamaniques. Dans la culture Salinar (200 av. JC, 100 ap. JC.) ont été découvertes des représentations stylisées du San Pedro. Dans la culture Mochica (100-700 ap. JC), on trouve des céramiques représentant des femmes capuchonnées, ce qui en termes sémiotiques locaux signifie des femmes chamanes ou des prêtresses. Certaines d'entres elles portent un tronc ou des tranches de San Pedro. La plus fameuse tient dans la main un cactus des quatre vents. Parfois le cactus est stylisé et représenté par sa tranche, faisant penser à une étoile. On sait aussi que lors des sacrifices humains, les victimes étaient préparées en absorbant du San Pedro. Ceci est indicateur de certaines propriétés du San Pedro invitant à se donner, à disparaître, à n'être rien. Des représentations de femmes chamanes tenant le San Pedro dans la paume de leur main existent aussi dans la culture Lambayeque du nord péruvien (800-1350 ap. JC). Sur une céramique sont représentés trois cactus à quatre cotés, associés à trois montagnes, avec un long personnage tourné bouche vers le bas, sur la montagne centrale. Sur quelques images lambayeque de la fin du premier millénaire apparaissent des signes indicateurs d'aspersions de liquides lors des rituels, un acte qui est toujours réalisé de nos jours lors des 'mesas' de guérison. D'autres céramiques représentent des personnages qui semblent en train de manger des morceaux de cactus au lieu de la boisson psychoactive dont il est la base. On constate aussi la présence de hochets et autres sonnailles qui, joints aux chansons et sifflements du chamane activent les pouvoirs de la 'mesa' rituelle et facilitent l'action hallucinogène du San Pedro. A toutes fins utiles, l'étude détaillée du monolithe dit "el lanzón", de la stèle Raimondi, et de l'obélisque Tello ou tout autre monument appartenant aux cultures que j'ai brièvement citées s'avère judicieuse. Tous les éléments encore en usage dans les rites, même christianisés, sont éclairés parfois par ces vieux vestiges. Ils constituent une source très riche d'information permettant d'approfondir sérieusement le fond métaphysique de la vision sacrée, du dévoilement des coulisses du monde.

    Pour approfondir le sujet, vous pouvez également consulter L'Homme-Jaguar.
BIBLIOGRAPHIE
- F.J. Carod-Artal, C.B. Vázquez-Cabrera, Mescalina y ritual del cactus de san Pedro: evidencias arqueológicas y etnográficas en el norte de Perú.
- Bonnie Glass-Coffin, Douglas Sharon, Santiago Uceda, Curanderas a la sombra de la Huaca de la Luna.
- Fire Erowid, A Look at the Mescaline Content of T. peruvianus and T. pachanoi.
- Bernabé Cobo, Historia del nuevo mundo.
- Douglas Sharon, El chamán de los cuatro vientos.

Chavin de Huantar : le monolithe dit "El Lanzón", vu de face.

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